Société

La pointe s’en était enfoncée dans le dallage

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  • 10 novembre 2011

Il faisait de son mieux pour ne pas paraître affecté.
Mais cette dernière semaine était probablement la plus rude qu’il ait jamais connue.
– C’est la fin, Xavius, dit-il simplement.
Un autre pilier de l’univers de Xavius se brisa, et il fut saisi de vertige.
Tout serait différent.
Le Trône n’avait pas d’héritier.
Valmont s’écarta et le jeune officier avança vers la chambre même.
D’un pas hésitant il s’approcha du lit entouré de guérisseurs silencieux et résignés.
L’un d’entre eux se pencha sur le souverain allongé et immobile pour lui murmurer quelque chose à l’oreille.
Après une inspiration laborieuse, la voix rauque d’Elinomius s’éleva.
Par les Dieux, que Xavius détestait le voir ainsi affaibli.
– Approchez, Commandeur, ordonna la voix désormais si peu familière.
Xavius mit un genou à terre.
– Je suis là, Votre Altesse.
– C’est bien.
Xavius… Je suis fier que mon royaume comporte des hommes tels que vous.
Lavernus et moi vous devons tant.
Et je ne puis pour vous remercier que vous offrir le spectacle désolant de ma décrépitude.
Et vous soumettre une dernière requête.
La plus difficile qui puisse s’envisager.
– Votre Altesse, j’ai affronté chacun de vos adversaires.
Et j’affronterais la Mort elle-même pour l’éloigner de vous, si seulement on m’en donnait l’occasion.
Parlez, et j’exécuterai. Votre loyauté m’honore, Commandeur. L’honneur est mien, Majesté.Le roi fut pris d’une quinte de toux et Xavius se pencha davantage sur lui, saisissant sa main.Un geste incontrôlable.Le roi la serra.
Et l’officier se surprit à ressentir une vive émotion.
Ses yeux se mirent à piquer.
Il battit des paupières et les larmes refluèrent.
Il n’avait jamais… Il faut que ce soit vous, Xavius. La voix brisée du monarque interrompit le cours de ses pensées. Votre Altesse ? La couronne.Il faut que ce soit vous… Que ma fille… vous choisisse.
Xavius posa une main sur le sol pour retrouver son équilibre.Mais Majesté, la princesse Clarissa… Écoutera les dernières volontés de son père.
Mais vous Xavius, êtes-vous prêt à respecter les vœux d’un vieillard ? La charge d’un royaume plus que jamais au cœur de la tempête, d’un peuple affaibli et blessé ? J’ai confiance en vous, Gebryel, plus qu’en tout autre.
Xavius tourna la tête vers Valmont qui attendait à l’entrée de la chambre, mais il ne trouva aucune réponse dans les yeux gris et durs du mage.
– Ne voulez-vous pas d’Elle ? demanda le Roi.
Et le commandeur ne sut s’il parlait de la couronne ou de la princesse.
Mais le roi s’affaiblissait de minute en minute, et sous le coup d’une émotion inattendue, Xavius répondit : – Si, Votre Altesse, et je ferai tout pour m’en montrer digne.
Un sourire étira les vieilles lèvres d’Elinomius.
– Merci Gebryel, souffla-t-il.
Allez maintenant.
Je dois me préparer
Sans un mot, sans même réaliser ce qu’il faisait, Xavius quitta la pièce.
Valmont le retrouva trois heures plus tard, à la nuit tombée, dans l’une des chapelles du palais.
Le commandeur des armées de Lavernus y était agenouillé, la main serrée sur la poignée d’une épée.
La pointe s’en était enfoncée dans le dallage sur plus d’une paume, faisant apparaître un soleil de craquelures sur le marbre consacré.
La tête posée sur la garde, il restait immobile, et seul.
Le mage de bataille secoua la tête.
La solitude serait son lot, pour le reste de son existence.
Les talons de Brigess Valmont claquèrent sur le sol et le bruit de ses pas résonna dans la chapelle vide.
Il s’arrêta à un mètre de Xavius, et fixa son regard sur la nuque blanche, entre la noirceur du col et celle des cheveux.
– Elinomius Premier n’est plus.
Il y eut un silence.
Puis la réponse vint, d’une voix rendue rauque par une trop longue absence de parole, ou par l’émotion…
– A-t-il beaucoup souffert ?
– Les remèdes l’ont aidé.
– La princesse est-elle au courant ?
– Pas encore.
Elle…
– Doit ignorer la vérité.
Comme l’entièreté du peuple.
Et la majorité de ses dirigeants, coupa le jeune officier.
– Comment ?
Le mage parut interloqué, Xavius ne se retourna pas pour contempler l’expression étrange qui traversa son visage.
– Nous ne pouvons laisser se répandre l’image d’un vieillard faible et mourant.
Faisons de lui un martyr.
Accusons un assassin stygien.
Cela paraîtra crédible, et plongera le royaume dans l’émoi, puis la colère.
Et cela est infiniment préférable à la tristesse et au désespoir.
Brigess Valmont passa une main dans son abondante chevelure brune.
Même sommairement expliqué, il voyait la pertinence de ce plan, à un niveau que le commandeur ne percevait peut-être même pas.
Le seigneur Xavius avait toujours été un tacticien hors pair.
Il s’avérait une fin politique.
Les idées se bousculèrent en lui, réveillant son esprit engourdi par le chagrin.
Oui.
– Altesse, la loi a pour objet d’éviter que le royaume ne se trouve aux mains du Conseil par le biais d’un roi de paille.
Et le commandeur…
– Assez ! Je ne veux plus entendre son nom !
Valmont soupira.
L’après-midi allait être longue…
Derrière la porte, un jeune homme aux cheveux noirs attendait.
Il percevait les échos étouffés de la conversation.
Cela se présentait plutôt mal.
Appuyé contre le mur de pierres larges et grises, ses mains gantées croisées devant lui, il fixait le bois de l’épaisse porte, comme s’il voulait l’obliger à se changer en vitre.
– Seigneur… ? interrogea une voix dans l’ombre du couloir.
Xavius tourna la tête mais ne distingua qu’une vague silhouette.
Son interlocuteur se tenait juste derrière le coin.
Et il n’y avait aucun garde sur ce palier, sur ordre de la princesse.
– Qui va là ? demanda-t-il.
– Peu importe seigneur.
Non ! N’avancez pas.
Des hommes vont venir.
Ils vous diront que j’ai tué un prêtre.
Ils vous diront que je suis un traître.
Un déserteur.
Mais je ne m’enfuis pas, Seigneur.
Non.
La voix était éraillée à force d’avoir trop crié, mais le timbre était jeune.
Et le ton, empli de tristesse et d’amertume.
Elle reprit : – Je pars pour obéir à une loyauté supérieure.
C’est une chose que je dois accomplir.
Même si je dois mourir en chemin.
Xavius distingua le contour d’une cape et le profil d’un visage émacié mais familier.
– Je ne voulais rien de tout ce qui est arrivé, Seigneur.
Et si je le peux, je reviendrai.
Mais ne m’accusez pas de désertion.
S’il vous plaît.
Il y avait de la douleur maintenant.
– Attendez.
Que comptez-vous faire, capitaine ? Quand vous êtes-vous réveillé ? Est-ce que votre père… ?
Ne lui dites rien, coupa Willem Valmont depuis l’angle du couloir. Il l’apprendra bien assez tôt. Adieu, Voyance Seigneur. Valmont ! interpella Xavius, sans oser élever la voix.

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