John est comptable. Il a la passion des chevaux. Je le connais depuis cinq ans environ. Je l’avais rencontré pendant un cocktail. Il s’ennuyait. Il avait trouvé en moi une oreille sympathique. Il m’avait longuement parlé de ses chevaux. Il avait des photos d’eux dans son portefeuille. Il avait aussi des photos de ses enfants. En général, les gens veulent absolument vous montrer des photos de leurs rejetons, ils sont si fiers de leur progéniture. Pas John. Ce qui l’intéressait, c’était ses cheveux. L’un se nommait Star Bright et l’autre Potato Chip comme dans le roman de Wodehouse, me précisa-t-il. Comme il était question de littérature, je lui conseillai de lire Milady et l’Encyclopédie équestre de Paul Morand. Il prit ces titres en note.
Il habitait un condo à Westmount et avait une grande maison dans les Laurentides où se trouvait son écurie. Là, il employait un palefrenier à l’année longue pour s’occuper de ses deux chevaux. Dès qu’il avait un moment de libre, il se rendait dans les Laurentides pour y monter ses deux chevaux. Il y passait ses fins de semaine. Pour l’amour de Star Bright qui était une belle jument un peu frêle, ce colosse d’un mètre quatre-vingt-dix avait perdu 20 kilos. En effet, il avait peur d’être trop lourd pour la monter. Aussi avait-il coupé la bière, les hamburgers et les frites pendant près de six mois pour pouvoir cavaler sur le dos de sa chère Star Bright. Il lui arrivait de faire participer ses chevaux à des concours et à des compétitions. Dans ces moments-là, il devait les déplacer. Il avait donc fait installer une attache remorque sur son camion et fait l’achat d’une belle grande remorque à chevaux. Dans ce véhicule, il pouvait donc loger Star Bright et Potato Chip, qui étaient tous deux comme la prunelle de ses yeux. Il avait fait affaire avec le meilleur spécialiste d’attache remorque. Avant tous ses déplacements, il y retournait et faisait vérifier la solidité de l’attache remorque, de peur que son intégrité ne soit menacée. Les chevaux étaient assurés bien sûr, il n’avait pas le choix. Mais ce n’était pas une question d’argent. Ces deux êtres étaient ce qu’il aimait le plus au monde. Il vivait pour eux, ils étaient sa raison d’être. Toute sa carrière reposait sur sa volonté de posséder des chevaux. Sans ces chevaux, il aurait pris sa retraite et se serait sans doute laisser mourir.
Un jour, alors que je marchais avec lui, nous nous retrouvâmes devant une boucherie qui faisait aussi office de boucherie chevaline. Il fut scandalisé. Il ne pouvait comprendre que l’on puisse manger du cheval, un animal si noble. Il voulait entrer et exiger du patron de la boucherie de cesser son commerce scandaleux. Manger de la viande de cheval, selon lui, relevait du cannibalisme. Il n’avait peut-être pas tout à fait tort. Pendant si longtemps le cheval a été une extension du corps humain… Il fallut que je le retienne. Il avait perdu la tête. Je l’emmenai et heureusement j’aperçus un pub. Devant une bière, il retrouva son calme. Pardonnez-moi, mais l’idée que l’on mange un cheval me révolte, dit-il tout simplement. Je l’avais bien remarqué…
Il me proposa de l’accompagner jusqu’à Trois-Pistoles où se rassemblaient quelques propriétaires équestres. Je n’avais rien à faire cette fin de semaine-là alors j’acceptai. Je devais le rejoindre à son appartement de Westmount. De là, nous gagnerions les Laurentides où nous prendrions le camion équipé de son attache remorque. La remorque une fois attachée, les chevaux Star Bright et Potato Chip y seraient menés et tous les trois –le palefrenier nous accompagnerait-, nous irions à Trois-Pistoles.
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