Le silence s’était de nouveau installé.
Jentis tourna lentement et prudemment la poignée qui s’ouvrit sur une immensité noire.
L’escalier n’était plus là.
L’Entre-Monde le remplaçait.
– Je vais devenir fou dans ce monde !
– Nous le sommes déjà.
Jentis sursauta à la voix qui résonna dans sa tête.
– Ne t’inquiète pas, ce n’est que moi, le vieil aveugle.
J’ai eu beaucoup de mal à te localiser et à te joindre.
– Comment avez-vous fait ? demanda Jentis incrédule.
– Ce n’est pas la bonne question.
Et pas le bon moment.
Maintenant c’est à moi de poser des questions.
Les as-tu ?
Jentis, pensant immédiatement qu’il faisait allusion aux yeux, répondit par la négative.
– Que vois-tu ? reprit alors la voix de l’immortel.
– Je suis dans une pièce, j’ai tout renversé, cherché partout, et pourtant…
– Est-ce qu’il y a un homme ? le coupa la voix.
– Oui, je l’ai assommé parce qu’il appelait des gardes.
D’ailleurs qui sont…
– Il sait où ils sont.
– Les gardes ?
– Les yeux.
Jentis, essayant de ravaler sa frustration pour les réponses à ses questions que le vieil homme ne donnait pas, lui révéla que l’homme étendu n’en savait rien.
Il lui paraissait sincère avant qu’il ne soit inconscient.
– Tu es naïf Jentis.
Ramène-le-moi, il sait où ils sont.
Après cela je te ramènerai chez toi.
– Vous ne voulez plus que je retrouve les yeux ?
– Il s’en chargera pour moi.
Toi, tu en as déjà assez fait.
– Dois-je refaire tout le chemin en sens inverse ?
Nulle réponse ne viendrait jamais, la voix avait disparu.
Jentis poussa un grognement lorsqu’il prit l’être inconscient sur ses épaules car il semblait peser une tonne.
Il passa la porte et s’engagea de nouveau sur le sentier de lumière, cette fois-ci en sens inverse et se rendit compte que l’homme qu’il portait ne pesait soudainement plus rien.
L’Entre-Monde avait encore beaucoup de secrets à lui livrer.
Rapidement, il arriva au tournant et s’arrêta ; sachant qu’il allait de nouveau traverser le temps mais en sens inverse.
Deux mains accrochées à un rebord le stupéfièrent plus que le guerrier combattant des loups.
Elles étaient bien réelles, contrairement aux souvenirs qui se déroulaient autour de lui et il savait à qui appartenaient ces mains.
C’était lui !
Lui quand il était tombé un peu plus tôt !
Comment cela se faisait-il ? Était-ce le chemin du temps qui créait de pareils paradoxes ? Il secoua la tête et se rappela sa promesse.
Que plus rien dans ce monde ne pourrait de nouveau le surprendre.
Sur ces pensées, il reprit vite sa route avant que son autre lui ne se hisse sur le chemin.
Que se passerait-il lorsqu’il se retrouverait nez à nez avec lui-même ? Comme il y avait des questions qui préféraient ne pas avoir de réponses, il se dit qu’il avait bien fait de ne pas tenter l’expérience.
C’est alors qu’il se rendit compte que les images qui défilaient autour de lui, les songes, les parcelles du temps qu’il était en train de traverser, avaient beaucoup moins d’impacts qu’à son aller.
Son sang se figea quand quelque chose de différent, qui était bien là contrairement aux souvenirs qui étaient immatériels, fonça sur lui.
Il écarquilla les yeux lorsqu’il se vit, les mains bouchant ses oreilles, les yeux fermés, courant comme un dégénéré.
La scène était plutôt comique, mais s’il le percutait, ils tomberaient tous les deux dans les abîmes de l’Entre-Monde et attendraient peut-être des siècles avant qu’un phénomène semblable au cercle du vieillard ne les stoppe.
Et puis Jentis se souvenait ne pas avoir rencontré une seule fois son double dans la trame du temps.
Il était vital que le passé se passe comme il l’avait vécu.
Le chemin n’était vraiment pas large, il se poussa du mieux qu’il pût et vit son autre lui le frôler.
Il espéra que son double n’ouvrît pas les yeux.
Il fit mieux puisqu’il ne se rendit compte de rien et continua sa course folle.
Jentis regarda le roi devant lui, qui était en train de trahir son empire sans en tirer beaucoup d’intérêt, réajusta le corps sur son dos,tarot puis reprit sa route.
Jentis avait petit à petit remonté le temps sans rencontrer une nouvelle fois son autre lui, à son plus grand soulagement, et alors qu’il était presque arrivé à son temps, il cracha un juron en voyant un Jentis contemplant un songe.
Le Jentis qui portait le corps se souvint que c’était lorsqu’il se regardait cordonnier ; le premier souvenir qu’il avait vu.
Peut-être que s’il passait rapidement derrière lui, trop intrigué par les images de son existence qui lui faisaient recouvrer le peu de mémoire qu’il gagnerait à cet instant, le Jentis du passé ne verrait pas le Jentis du présent ? Mais c’était toujours trop risqué.
Et il devrait faire vite, son autre lui allait bientôt détourner le regard pour regarder droit devant lui.
Droit vers lui.
Et cela ne devait pas arriver.
Jentis s’approcha donc rapidement du plus près qu’il put de son double et mit son idée en œuvre.
Après tout, il l’avait déjà fait.
En se forçant à ne pas regarder en bas et repoussant la peur que le néant sous lui inspirt, il descendit, restant accroché d’une main au rebord, tenant le col du corps par l’autre main et sentant son poids tirer sur les muscles de son bras droit qui assurerait sa chute ou sa survie.
Société
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