Entretien avec François Bonnet, co-fondateur de Mediapart.
François Bonnet — Je suis l’un des co-fondateurs de Mediapart. Ce journal 100% numérique, 100% indépendant et 100% participatif créé en 2008. J’en ai assuré la direction éditoriale pendant dix ans jusqu’à l’an dernier. Jugeant qu’il aurait été dangereux pour moi et pour l’équipe de Mediapart de poursuivre au-delà de dix ans –un journal doit se renouveler-, nous avons organisé un passage de relais très satisfaisant avec Stéphane Alliès et Carine Fouteau qui sont désormais en charge de cette direction.
Avant Mediapart, j’ai travaillé une dizaine d’années à Libération puis près de quinze ans au Monde où j’ai été successivement l’un des responsables du service Société, le correspondant de ce journal à Moscou puis le rédacteur en chef du service international.
Ce que doit être un journaliste ? Tout bêtement un producteur d’informations et non un commentateur qui regarde passer les trains d’une actualité fabriquée par les pouvoirs. C’est une maladie très française que de survaloriser dans notre métier les fonctions d’éditorialiste ou de commentateur et cela explique trop souvent le conformisme ronronnant de nos médias.
Nous connaissons tous les Prix Pultizer. Mais ce que beaucoup ont oublié c’est comment Pulitzer définissait notre métier. « Le vrai journalisme », pour reprendre ses mots, « c’est une information minutieuse qui se battra pour le progrès et la réforme, ne tolérera jamais l’injustice ou la corruption et combattra toujours les démagogues ». Pulitzer ajoutait que le journalisme doit « s’opposer aux classes privilégiées et aux pillards publics, ne jamais manquer de sympathie pour les pauvres, rester toujours dévoué au bien public, être toujours radicalement indépendant ».
Il faut sans cesse rappeler cette ambition dans cette période sinistre où Donald Trump veut détruire la presse libre en la qualifiant « d’ennemi du peuple », où Emmanuel Macron s’en prend à « une presse qui ne cherche plus la vérité », et où l’extrême-droite identitaire a en France table ouverte dans des médias de service public.
“Notre slogan « Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter ! » s’est révélé être un modèle économique efficace, performant qui garantit la qualité et l’indépendance”.
DS — La conquête d’abonnés numériques est au coeur de toutes les attentions au sein des rédactions qui ont l’ambition de vouloir faire payer le/la lecteur/rice. Pouvez-vous nous donner les chiffres clés et les dernières tendances de l’abonnement numérique chez Mediapart ?
FB — Quand nous lançons Mediapart en 2008, personne n’y croit dans la profession. La doxa était alors que l’information sur le web ne pouvait être que gratuite, courte et low-cost. Nous pensions très exactement l’inverse : qu’une information de qualité, originale et indépendante créait de la valeur et avait donc un prix. D’où notre modèle économique inchangé depuis 2008 : pas de publicité, pas de subventions publiques, un abonnement mensuel (11 euros/mois, 5 euros pour les jeunes, les chômeurs et les petites retraites).
Le bilan est un succès éditorial mais aussi une réussite d’entreprise que nous n’osions imaginer en nous lançant. Notre journal est largement bénéficiaire depuis 2011, nous avons dépassé le cap des 170.000 abonnés individuels payants et 2019 va être pour nous une année de tous les records en termes de résultats financiers. Comme quoi notre slogan « Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter ! » s’est révélé être un modèle économique efficace, performant qui garantit la qualité et l’indépendance.
SOURCE: medium.com
AUTER: François Bonnet
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